Pascal Canfin : “Finance Watch est un succès. Elle est de plus en plus écoutée à la Commission et au Parlement européen”

ENTRETIEN par Olivier Milot pour Télérama | Un an après sa création, en juin 2011, l’ONG Finance Watch s’est imposée comme un contre-pouvoir crédible face aux lobbys financiers. Explications de son fondateur, Pascal Canfin, devenu ministre du Développement.

Sans Pascal Canfin, Finance Watch n’aurait sans doute jamais vu le jour et, à Bruxelles, les lobbys de l’industrie financière continueraient à asséner leurs vérités aux politiques sans jamais risquer d’être démenti. La création de cette ONG, qui s’apparente à une sorte de « Greenpeace de la finance », a modifié la donne. En un an, Finance Watch s’est s’imposée comme un contre-pouvoir crédible et écouté par la Commission et le Parlement européen. Un grain de sable qui grippe la mécanique jusqu’ici parfaitement huilée des lobbys financiers qui veillent comme le lait sur le feu à ce qu’aucune législation contraignante ne vienne encadrer leurs activités.

Pascal Canfin, lui, a abandonné les habits de député européen (Europe écologie-Les Verts) pour endosser en mai 2012 ceux de ministre du Développement. Il est une des (bonnes) surprises du gouvernement Ayrault et entend bien faire entendre sa voix sur les dossiers de l’environnement et de la régulation financière internationale. Il pourra pour cela s’appuyer sur l’expertise des ONG spécialisées en la matière. Juste retour des choses, Finance Watch en fera partie. Un an après son lancement – le 30 juin 2011 – son fondateur revient sur les conditions de sa création et tire un premier bilan très positif de son action.

Comment vous est venue l’idée de créer Finance Watch ?
Il y a deux ans, lors de la discussion sur la directive encadrant les fonds spéculatifs au Parlement européen, je me suis rendu compte à quel point les lobbys de l’industrie financière étaient puissants à Bruxelles. Il n’y avait aucun contrepouvoir à leur action comme il en existe dans d’autres secteurs comme l’environnement avec Greenpeace ou les droits de l’homme avec Amnesty International. Seule la Confédération européenne des syndicats tentait de tenir ce rôle mais sans en avoir l’expertise, car les questions financières ne sont pas au cœur de son combat. Il fallait pallier cette absence et créer un « Greenpeace de la finance ». Je m’en suis ouvert à d’autres députés et l’idée a fait son chemin.

Est-ce vous qui avez rédigé le texte de l’appel initial de Finance Watch ?
Oui. Je l’ai ensuite fait circuler entre les députés sans que cela ne suscite de discussion de marchands de tapis car un consensus sur son contenu préexistait entre nous. Les vingt-deux premiers signataires étaient tous des députés en charge des dossiers financiers pour donner du poids à notre démarche. Ils venaient de bords politiques et de pays différents même si les signataires sont majoritairement issus du quart nord-ouest de l’Europe, là où on trouve les principales places financières (Londres, Francfort et Paris).

Etait-il important pour vous que les signataires de l’appel soient issus d’horizons politiques différents ?
Oui, la création de Finance Watch ne répondait pas à une question partisane mais à un enjeu démocratique. Les politiques seraient-ils un jour en mesure d’être nourris par les arguments des deux camps et plus seulement alimenté par ceux du lobby financier ? Le véritable enjeu de la création de Finance Watch résidait là, pas sur un clivage gauche/droite.

Une dizaine de députés ont mis de leur poche quelques milliers d’euros pour permettre le lancement de Finance Watch, la démarche est plutôt rare…
Il ne revient normalement pas aux politiques d’initier eux-mêmes ce type de contrepouvoir. Nous l’avons fait par défaut. Cet argent n’a jamais été destiné à financer l’organisation elle-même mais l’étude de sa faisabilité. Nous avons été à un moment donné des facilitateurs mais Finance Watch vit désormais sa vie seule et il est hors de question qu’elle fasse l’objet de la moindre intervention politique.

Pourquoi avez-vous choisi Thierry Philipponnat comme responsable de Finance Watch ?
Il possédait deux qualités rares : celle d’avoir travaillé à la fois dans une ONG (Amnesty International) et dans le monde de la finance où il cumulait une expérience de marché et de banque ; et celle d’avoir une dimension entrepreneuriale, qualité nécessaire pour créer une ONG de toutes pièces. Un profil idéal.

Pourquoi dans un continent qui a vu naître la démocratie, a-t-il fallu attendre 2011 pour ressentir la nécessité d’un contrepouvoir au lobby de la finance ?
Je pense que le rôle central de la finance n’est apparu que tardivement parmi les syndicats, les ONG et plus largement la société civile. Pendant longtemps, personne n’a vu la nécessité de disposer d’une ONG, en tant que telle dans ce secteur. A cela s’ajoutait, la complexité même de la finance qui la rendait difficilement saisissable faute d’avoir les moyens et l’expertise de s’en emparer. La crise financière a changé la donne. En 2007-2008, tout le monde s’est rendu compte que l’implosion de la finance avait des conséquences dans le monde entier et à tous les niveaux de la société. Les premières ONG spécialisées sur le monde de la finance sont alors nées là où la crise avait démarré, aux Etats-Unis.

Cela dit, certaines ONG comme Transparency InternationalTax Justice Network,Attac ou le CCFD n’étaient pas totalement absentes de la finance avant la crise mais elles en avaient une approche plus sectorielle. Elles allaient chercher dans les sujets financiers une brique qu’elles rattachaient à leur mission d’origine (la lutte contre la faim dans le monde, les paradis fiscaux, la corruption, la taxe sur les transactions financières…). Finance Watch est à la fois transversale et complémentaire par rapport à ces organisations. Elle se concentre sur ce qu’on appelle la finance de marché et aborde des sujets qui n’étaient jusqu’ici traités par personne comme la question de la titrisation, du degré de concurrence entre les bourses ou du rôle exact des régulateurs sur les marchés financiers. Autant de thèmes qui font qu’au bout du compte les politiques exercent ou non un contrôle sur la finance.

Au terme d’un an de fonctionnement, quel jugement portez-vous sur l’action de Finance Watch ?
Finance Watch est un succès. Elle est de plus en plus écoutée à la Commission et au Parlement européen et le doit à la crédibilité de son expertise. Bien sûr, elle n’a pas rallié politiquement tout le monde à sa cause, il existe des critiques et des débats, mais sur les dossiers dont elle s’est emparée, personne n’a déconstruit ses arguments. Mieux, ils ont même parfois fait l’objet d’articles dans la bible de la communauté financière, le Financial Times. En un an d’existence, elle a ainsi apporté son expertise sur trois dossiers majeurs :  le texte sur les banques(CRD4), celui sur l’organisation des marchés financiers (Mifid) dont la question du trading à haute fréquence, la directive sur les agences de notation. Sur ces sujets, elle a permis aux politiques qui le voulaient d’être à même d’affronter les lobbys de l’industrie financière avec des arguments techniques de bon niveau. C’est essentiel car face à eux, le débat ne peut pas être qu’idéologique ou éthique, il faut être dans l’expertise technique. Si vous restez sur le terrain de la morale ou les bons sentiments, vous êtes assurés de perdre.

Les Verts relaient-ils plus que d’autres partis l’argumentation de Finance Watch au Parlement européen ?
Finance Watch n’est pas une organisation partisane. Le rapporteur du projet de révision de la directive sur les marchés d’instruments financiers (MiFID 2) est un parlementaire allemand de droite (PPE), ce qui ne l’a pas empêché de bien collaborer avec Finance Watch sur la question du trading à haute fréquence, parce qu’il souhaite réellement faire avancer la réglementation en la matière. Finance Watch est au service des politiques qui veulent faire bouger les lignes, indépendamment de leur appartenance politique, Les Verts en font évidemment partie !

De quelles marges de progression dispose Finance Watch ?
Ile ne m’appartient pas de répondre à cette question toutefois Finance Watch doit encore s’étoffer pour développer sa capacité d’expertise et de lobbying. Elle pourrait par ailleurs me semble-t-il déployer son action en dehors de Bruxelles. Il est bien sûr essentiel de gagner des batailles au Parlement européen mais, comme l’Union européenne s’est dotée d’un processus de co-décision (Parlement européen/Conseil européen), il faut aussi aller dans les capitales (Paris, Londres ou Berlin) pour faire en sorte de peser sur les décisions des gouvernements.

Comme ministre du Développement, pourriez-vous être amené à utiliser des propositions de Finance Watch ?
Il y a dans le champ du développement des sujets à dimensions financières sur lesquels j’ai bien l’intention de faire entendre mon opinion et d’utiliser l’expertise des ONG. Les analyses d’Oxfam sur la question de la votalitité des prix des matières premières me seront précieuses, celles de Transparency International, Publish what you pay, ou de Finance Watch aussi, notamment sur un autre sujet déterminant pour moi : la lutte contre l’opacité des flux financiers qui sortent des pays du Sud. Ces flux représentent aujourd’hui dix fois le montant de l’aide publique au développement. Mettre les pays du Sud en capacité de les conserver pour pouvoir mener des politiques publiques de santé, d’éducation, de lutte contre la pauvreté… avec leur propres recettes fiscales plutôt qu’avec l’aide publique au développement, est donc un enjeu absolument majeur.

Source : Olivier Milot / Télérama

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